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Pantin /

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Nom : BOUSLIMANI

 

Prénom : Nacer

Âge : 59 ans

Lieux d'intervention : Pantin, Seine-Saint-Denis, FRANCE

 

Raconte nous un peu ton histoire ?

 

Je suis arrivé en France sur le tard, en octobre 2002. Dans ma vie précédente, j'étais professeur de français au collège pendant une vingtaine d'années.

 

Je suis littéraire de formation bien qu'ayant commencé mes études universitaires en sciences financières. J'étais bon, mais j'étais malheureux.

 

En fait, j'ai toujours été un poète, en plus d'être bon en maths. Les chiffres m'aiment, mais moi je ne les aime pas. Je suis un rêveur invétéré, incorrigible. Et 2 ans après les sciences financières à l'Université d'Alger, je me suis dit que je n'allais pas continuer ma vie dans ce domaine. J'ai viré à gauche vers la littérature pour devenir professeur de langues.

 

J'ai quitté mon pays car j'ai été invité par la maison d'édition L'Harmattan dans le cadre du salon du livre qui se tenait à Paris. Et oui, je suis aussi romancier à mes heures. L'Harmattan venait de publier mon livre. C'était l'occasion de venir en France et d'aller m'essayer ailleurs, façon de parler. C'était fin 90, début 2000. Le projet de quitter le pays avait déjà mûri, mais ce n'était pas pour moi. Je m'explique : l'idée d'imaginer qu'on pouvait imposer quoique ce soit à mes deux filles m'était insupportable. Je crois que quand on a des enfants, on acquiert une certaine facilité à passer outre certains grands principes. Dès lors que j'ai été père, ma façon d'être responsable de mes enfants a fait que certains grand principes de résistance, de résilience et même révolutionnaires se sont un peu émoussés. Je n'aurais pas sacrifié l'avenir de mes filles.

 

Et donc je suis venu en France et j'ai oublié de repartir. Je savais très bien que je ne repartirai pas. En Algérie c'était l'époque de l'insécurité totale. L'époque où était tué tout intellectuel, tout écrivain, toute idée de libre pensée. C'était banni de l'esprit collectif. Il s'était plutôt installé la peur. J'ai aussi été journaliste, et le premier journal pour lequel j'ai contribué était celui qui a valu la mort du premier journaliste écrivain algérien, en mai 93 : Tahar DJAOUT. Il était rédacteur en chef et fondateur de ce journal. Il renvoyait dos à dos le pouvoir algérien et les islamistes de l'époque. Les haut-le-cœur se sont multipliés quand je voyais tous les carnages qui se passaient, la peur et la honte qui nous prenaient au ventre à chaque fois qu'on allumait la télé.  On ne parlait de nous que comme des barbares. Donc je me voyais mal terminer là-bas. Et surtout, je le rappelle, je voulais que mes filles soient entières et libres de ce qu'elles veulent être. Jamais je n'aurais accepté qu'on leur impose quoique ce soit. Elles peuvent décider de porter le foulard, mais je n'aurais pas toléré qu'on leur impose.

 

Je suis donc resté en France. J'ai commencé par être formateur en linguistique "Français Langue Étrangère". J'ai beaucoup aimé ce métier et j'ai rencontré une directrice qui m'a confié d'autres missions comme l'accompagnement de jeunes et l'insertion. Jusqu'à me confier la tâche de responsable d'une session de validation de titre professionnel en milieu carcéral. C'était une lourde charge. J'ai adoré ça, c'était une très belle aventure d'avoir affaire à des détenus à qui on donnait une seconde chance et qui sortaient avec un titre professionnel. C'était un très beau chapitre dans ma vie.

 

L'insertion me plaisait aussi, mais en tant que littéraire, je sentais qu'il me manquait des références, des savoirs, la connaissance de tous les acteurs du territoire, les lois... J'ai donc appris tout ça en suivant une licence professionnelle dénommée "Coordinateur de projets collectifs en insertion".

 

J'ai effectué mon stage de fin de formation au PLIE (Plan Local pour l'Insertion et l'Emploi, ndla). Et j'y suis resté car on m'a proposé un poste de référent. Cela fait 8 ans maintenant. J'y ai trouvé le Graal, le poste que j'aime. J'adore l'insertion.

Peux-tu nous parler de ton engagement ? :

 

Mon action consiste principalement à remettre en emploi ou en formation des demandeurs d'emploi de longue durée, les publics les plus démunis. Pour ce faire, on utilise notamment les financements Européens.

 

C'est un métier que j'aime et je ne le changerais pas. Je crois que quelqu'un a déjà dit : "Les moments de joie ou les journées les plus heureuses sont sans nul doute les journées où tu as pu te rendre utile à quelqu'un d'autre." Bien sûr, serrer ton enfant dans tes bras est un bonheur naturel, il est acquis. Tu n'as pas fait d'efforts, c'est à toi. Mais quand tu te rends utile, tu sens une espèce de plénitude. C'est ton rôle, c'est ta nature, par humanisme, être utile à un autre humain.

 

J'ai pour projet d'écrire un livre sur l'insertion. Il s'en est déjà écrit tellement. Je n'ai pas envie de l'écrire de manière académique, un peu savant, avec des définitions très théoriques et ronflantes. J'ai envie de partir de tranches de vie de personnes que j'ai rencontrées et pour qui j'ai beaucoup d'admiration. Ça sera forcément un peu littéraire. Je choisirai une dizaine de parcours, parmi les plus saillants, que je raconterai sous forme de nouvelles. Ces histoires m'interrogent sur comment ces personnes ont fait, quelle bravoure a-t-il fallu pour arriver là, devant moi.

 

J'ai en tête beaucoup de ces exemples. Récemment, je recevais une jeune femme incroyable, 37 ans, jamais scolarisée. Elle a fui la Côte d'Ivoire en passant par le Mali, l'Algérie, la Libye, la Grèce aussi je crois puis l'Italie pour finalement se retrouver en France. Pourquoi ? Parce que son bébé allait être excisé. C'est pour cette raison qu'elle a fui la Côte d'Ivoire. Elle voulait épargner cela à sa fille. Elle a traversé des mers et des déserts... Comment a-t-elle fait ça toute seule ?! Pour moi, c'est juste incroyable. L'idée aussi de ce livre, c'est de partir de ces tranches de vie pour expliquer ma mission et mon rôle du PLIE.

 

Ce que je ne supporte pas, ce qui m'hérisse le poil, c'est qu'on manque de respect à ces personnes que nous accompagnons. Ça, ça me tue. J'entends certains retours, certains comportements vis à vis de ces personnes démunies, presque diminuées par leur statut d'inutilité. Quand j'entends des répliques blessantes, méprisantes, arrogantes, hautaines, je ne pardonne pas. Là je suis radical. C'est au delà de ce que je peux supporter. Ces gens méritent vraiment le respect. Ils ne sont jamais là parce qu'ils le désirent. C'est vraiment loin d'être une situation aisée pour eux d'être en face de moi, je le ressens. On leur doit du respect. Et il ne faut pas oublier que si nous avons un salaire, c'est parce qu'eux n'en n'ont pas. Le jour où ils auront tous un salaire, moi je n'en aurais plus.

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Quelle est ta motivation ? :

 

Ce qui me motive, c'est que le monde peaufine ses injustices. Le monde a toujours été injuste. Je sais qu'il y aura toujours des riches et des pauvres, je ne suis pas un rêveur. Mais j'estime que l'Homme a inventé tellement de choses incroyables et extraordinaires qu'il aurait pu réduire cette injustice. Je crois, à mon grand regret, qu'elle va en grandissant.

 

Ce qui me booste, c'est que contrairement à une idée reçue, beaucoup de personnes sont à la recherche d'un emploi. Elles n'ont juste pas les références pour en trouver un. Il est tellement compliqué aujourd'hui de chercher un travail. Cela nécessite de nombreuses compétences comme rédiger un CV, appeler un employeur, envoyer un mail... 90% des personnes que je suis sont d'origines étrangères. C'est dire qu'il est compliqué pour elles de maitriser les tenants et les aboutissants du marché du travail.

 

Sans aucun jugement, je trouve que le service public de l'emploi est mal organisé. Un conseiller Pôle emploi qui accompagne 200 personnes ne peut pas leur être utile. Je retrouve en face de moi des personnes vraiment décidées à retrouver un emploi sauf que jusqu'à présent, il n'y a eu personne pour faciliter cette tâche. Je ne suis pas là pour leur en trouver un, mais déjà chercher à 4 mains plutôt que 2, c'est déjà beaucoup. Et ils y arrivent en général à la fin.

 

Ce que j'aime, c'est quand une personne retrouve du travail par ses propres moyens, cela prouve qu'elle avait juste besoin d'une écoute, d'une personne qui croit en elle, qui lui redonne confiance.

 

Ce qui me booste donc c'est de me rendre utile à ces personnes pour qui il n'y a pas grand monde à leurs dispositions. Il y a sûrement d'autres facteurs qui me motivent, mais c'est ceux-là les plus visibles.

Et ton rêve ? :

Mon rêve est qu'il y ait plus de justice sociale et que la pauvreté batte en retraite au moins pour quelques temps. Là, elle nous bat à plate couture. La pauvreté, l'injustice sociale, l'isolement, l'exclusion sont des soldats de mauvaise augure. J'ai l'impression qu'ils gagnent du terrain de plus en plus. Mon rêve est qu'ils battent un peu en retraite, qu'ils soufflent et se disent que de l'autre côté de la barricade, nous sommes armés jusqu'aux dents. Mais ce n'est pas ce que je constate.

 

Une phrase qui te décrit :

 

C'est toujours très difficile ces questions. Je me lance, mais ce n'est pas une phrase. Je ne me classe pas facilement, je n'aime pas appartenir à une catégorie. J'ai plusieurs facettes. Mais sinon je dirais : partage, fraternité et bienveillance. Rien ne peut plus me désarmer chez quelqu'un que sa bienveillance, sa gentillesse. C'est presque comme un sport pour moi, plus on essaye d'être bienveillant avec moi, plus j'essaye de l'être en retour. Parfois je suis battu, et là, je fonds. J'adore la bienveillance chez l'homme et la femme. C'est tellement beau, ça lui sied tellement.

Ce que tu souhaites laisser aux générations futures :

 

Gardez en tête et comme espoir que l'Homme est capable du plus beau, comme du plus exécrable. Ne jamais se fourvoyer qu'il n'est capable que de l'un ou de l'autre. Garder comme espoir et comme leitmotiv qu'il faut tout faire pour que l'Homme cultive plutôt le bon côté parce que c'est possible.

Le contexte : J'ai eu la chance de travailler avec Nacer pendant presque 3 années. Son dévouement pour accompagner ces publics en difficulté force le respect. Son éthique va au delà de sa mission professionnelle. Merci à toi, poète aux milles vies et combats.

Interview réalisée le 16 janvier 2019 à Pantin

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